Le rendez-vous chez le gynéco est pris, pour la 1ère visite et la prescription du bilan sanguin.
La gynéco a la gentillesse de me faire une sorte d'échographie avant l'heure et de me montrer ce petit point blanc à peine visible, collé à une bulle qui le nourrit, et lové dans une petite poche. Vous le voyez clignoter ? (euh non, mais si tu me dis que oui, ça me va.)
Je sors contente : les 3 semaines à 60- 70km hebdomadaires de run n'ont pas découragé ce petit oeuf de s'implanter. La petite chose aime la course à pied !
Je repars avec les petites photos indécryptables et le sourire aux lèvres. Je ne pense pas encore "bébé" ni "enfant", juste "truc qui vit là-dedans". Pour la première fois j'en ai une preuve visuelle, donc irréfutable. Je me sens fière (j'ai été capable de faire ça, moi la fille qui n'a pas toujours choisi de vivre, qui s'est beaucoup planquée dans la non-action, la demi-vie).
Et là, VIOUF.
La lame de fond.
Du jour au lendeman, une fatigue énorme comme je n'en ai jamais vécu. Pourtant j'ai vécu des lendemains de marathons, des nuits blanches, des angines, des anémies sévères, des carences en magnésium, trois mois d'insomnies, une dépression et un burn-out - tous, petits joueurs.
Une fatigue qui ne te demande pas ton avis, se fout que tu aies bien dormi et que tu n'aies pas fourni d'effort particulier. Un trou noir accablant et lancinant. Des vertiges permanents, du matin au soir. Une impossibilité de courir, même à 7' au kilo. La quasi impossibilité de monter trois marches d'escaliers sans défaillir. Une sensation de faim inhabituelle et désagréable, et....talam...
Les nausées.
(image issue du site No Mummy's Perfect que je conseille). https://nomummysperfect.blogspot.fr/2014/09/burp-les-vilaines-nausees.html
Les nausées.
Je voyais cet épouvantail de la grossesse comme un mythe soigneusement entretenu par des générations de chochottes.
Une sorte de bizutage fictif contruit de toutes pièces pour séparer d'une frontière sacrée celles qui sont dans la confrérie des mères de celles qui ne le sont pas.
Donc il s'avère que je suis une chochotte. Depuis deux semaines, chaque jour, j'ouvre un oeil, nausées et vertiges. Je me lève, haut-le-coeur. Une gorgée de café, difficile. Une gorgée d'eau, dégoût. Je me rends vite compte que le jeune les aggrave donc je me force à manger. Tout ne passe pas mais je parviens à manger à peu près comme d'habitude en quantité et en calories, parce que j'ai lu que c'est important. J'ai la chance de faire partie de celles qui (pour l'instant) ne vomissent pas, donc je ne suis pas en danger de maigreur. (Je crois d'ailleurs qu'il n'y a qu'à l'article de la mort que je n'aurai pas faim. Manger est une passion.)
Que dire d'autre....nausées de 8h à minuit, avec parfois une heure de légère trêve dans la journée. En gros, il m'est impossible de savourer la nouvelle, de m'installer radieuse dans mon état de future maman comme dans les films, de penser à travailler, de discuter avec quiconque, de me réjouir...Tout devient une corvée et je ne pense plus, je ne vis plus que nausées.
J'en viens à regretter d'être enceinte par moments tellement la sensation est insupportable et ne me quitte pas.
Je nuance pendant les rares trêves (comme au moment où j'écris...) mais c'est dur. On est loin de l'état idyllique décrit par la confrérie (encore une, oui !) des mères qui frappées du sceau magique de l'amnésie traumatique conservatrice ont tout oublié et décidé de raconter que la grossesse c'est génial, t'es épanouie ma chéwwiie. Je te renvoie au spectacle de Florence Foresti si tu ne l'as pas vu.
Pragmatique comme fille, surtout quand la douleur s'invite, je parcours les sites et blogs à la recherche de remèdes miracles, de panacée que bien sûr, je serais la première à trouver sur des milliards de femmes enceintes pendant des générations parce qu'elles sont plus fortes que moi et MOI JE NE PEUX PAS supporter cette douleur.
J'y apprends que dans le meilleur des cas, elles me dureront 3 mois, et jusqu'à 9 mois, dans le pire...
Que "faut prendre son mal en patience" (pa quoi?), que "c'est pour la bonne cause" (meurtre), que "ouais mais on oublie après" (escroc), que "ben t'avais qu'à pas le faire" (ta gueule), et que c'est le signe que tu risques un peu moins de fausse couche qu'une femme qui n'en a pas (va pour celui-là).
Je passe ma journée à tenter de me distraire de mes sensations physiques en regardant tout ce qui me tombe sous le clic...Plus Belle la Vie, The Voice, Mille et une Vie, C'est mon choix (aux grands maux les grands remèdes) la chaîne youtube comique "la Normalitude" et son sujet sur la grossesse...
Je profite aussi de ce temps où je suis malade plutôt qu'enceinte, pour me renseigner sur ce qu'est la grossesse, ses étapes (vite fait, pas envie de flipper à l'avance), ses démarches, le panel de douleurs gastriques, mécaniques, ligamentaires, dorsales et psychiques qui m'attendent, comment ça marche un embryon, comment ça évolue un bébé, c'est quoi un placenta, c'est quoi un utérus (je pars de loin).
Evidemment je fais des trucs qu'il faut pas faire, genre manger des blancs d'oeufs en neige crus, ou des fruits de mer, histoire de flipper un peu davantage, sinon c'est pas marrant.
Je suis une bleue en la matière, j'ai mené ma vie jusque là par instinct davantage que par connaissance scientifique. J'ai 38 ans et environ 22 d'âge mental, à vue de nez (mais je suis peut-être un peu dure avec moi). J'ai pas fini de me construire en tant que femme même si j'ai avancé vite ces dernières années. (ouais, arrête de dire des conneries, t'es quand même presque devenue une chouette nana).(avec plein de failles).(et de craquages).(mais une chouette nana).
Ma petite maman-éléphante détentrice du savoir féminin ancestral étant à plus de 600 km, et ne disposant pas, pour ma part, d'un forfait téléphonique illimité, je pars en quête du Graal - Savoir.
Une copine expatriée en Angleterre me raconte sa grossesse et son accouchement. Le récit est généreux, précis, complet, vivant, magnifique. J'en tire de précieuses leçons qui confirment mon intuition....
En évitant doctissimo, je découvre un merveilleux groupe facebook que je conseille : "Enceinte au naturel". J'y apprends les dérives parfois graves de l'hospitalisation classique, du parcours classique de la future maman (en gros, interventions médicales intempestives superflues et intrusives, non respect de l'intégrité physique et psychique et de l'intimité de la maman, traumatismes divers, pour "aller plus vite on n'a pas que vous à accoucher".) Tu savais que l'on fait bouffer à la mère des hormones de synthèse pour qu'elle éjecte plus vite son placenta alors qu'elle l'aurait fait naturellement? Que le taux d'épisiotomie inutiles est important? Même chose pour les césariennes, et pour les déclenchements? Je découvre avec horreur une logique "industrielle", presque capitaliste de l'accouchement.
Et heureusement, je découvre bientôt l'existence de parcours parallèles bien plus respectueux et naturels, le concept de l'accompagnement global de la naissance, et l'"accouchement physiologique". J'apprends que l'on peut avoir un "projet de naissance" qui soit beau et qui soit respecté. J'apprends quels sont mes "droits" de femme, face à la grande machine Hôpital. Etant de nature influençable et docile, sans cette connaissance, je me serais laissée piétiner aux dépends de mon bien-être et contre toutes mes convictions. Gratitude, donc...Je découvre peu à peu cette sororité instinctive qui se noue entre les femmes, cette transmission de savoir et ce soutien qui lie des femmes qui ne se sont jamais vues. Ca, ça me plaît ! Tu connais les "doulas" ? Et les Tentes Rouges ? Je vais essayer d'assister à l'une d'elles. Je te raconterai...
Je trouve rapidement un groupe de praticiens libéraux pratiquant cette philosophie. Et donc, je vais rencontrer "ma" sage-femme début mai...Si ça t'intéresse, c'est ici : http://www.groupenaissances.org/
Quant à l'Homme....il m'a accompagnée à la réunion, a semblé intéressé, mais est toujours transi de peur et souvent me coupe lorsque j'évoque le sujet de la grossesse, de l'accouchement ou de l'après. C'est difficile à vivre pour moi. Même si d'un côté je le comprends...Je partage son angoisse (même si la mienne est féminine, liée à la douleur, à ma capacité à être mère, à assurer la survie financière du petit, à l'entourer correctement affectivement...). J'imagine qu'il est en train de vivre les peurs masculines typiques, d'autant qu'il n'a pas souhaité en parler à quiconque pour se soulager, à l'aune de la menace des fausses couches du premier trimestre. Je lui conseille et lui souhaite de se confier au moins à un ami....
Chez moi, c'est tempête sous un crâne :
Et si j'avais des nausées pendant toute la grossesse?
Et si je ne supportais pas le seuil de douleur des contractions qui apparemment surviennent tôt? (je suis une fille douillette t'as pas idée. Le vent froid ça me fout par terre, un cheveux tiré c'est la fin du monde, un rhume m'abat et une pharyngite me pousse aux larmes).
Et si j'avais des maux de dos violents, des infections urinaires aigues, des crampes permanentes ?
Et si je ne trouvais pas de travail dans les jours qui viennent ? (je suis au chômage, à la recherche de clients, mes assedics sont maigres et l'Homme n'est pas fortuné. J'ai à peine les moyens de me nourrir et payer mon loyer, rien de plus.)
Je n'y arriverai pas (en dressant la liste, même minimale, des frais basiques, des achats obligés)
Je n'y arriverai pas (en réalisant que je n'ai pas les moyens de quitter mon studio de 20m2 pour plus grand).
Peut-on élever un enfant dans un 20m2?
Comment gérer ma grossesse toute seule au jour le jour, avec un compagnon qui vit ailleurs et qui n'est là qu'un jour par semaine?
Comment gérer les angoisses nocturnes liées aux symptômes, comment aller à l'hôpital en urgence toute seule ?
Comment réussir à garder le moral si les douleurs sont permamentes et si je prends 20 kg?
Comment élever un enfant en garde alternée lorsque l'on ne s'entend pas assez bien pour vivre ensemble ?
A qui confierai je mes peurs et ma souffrance pendant ces 9 mois? (l'Homme est hermétique, froid et violent lorsque j'exprime une quelconque difficulté/souffrance, déjà avant ma grossesse c'était le cas).
Et s'il naissait, et que je ne l'aimais pas ?
Et si je n'avais pas l'instinct d'amour pour lui, à me retrouver dans la posture de "je m'en occupe parce qu'il le faut" mais sans plaisir et sans amour ? (une de mes plus grandes peurs).
Et si lui, ne m'aimait pas, me rejettait ou était indifférent? Est-il possible qu'un bébé sente les peurs de sa mère et ne l'aime pas?
Et s'il était moche?
Et s'il préférait son père que sa mère ?
Et si je n'avais plus de vie après?
Et si ma vie était foutue?
Et si j'avais fait la plus grosse connerie de ma vie?
(je t'ai fait un résumé des plus dicibles).
Je sais ce que tu vas me dire : toutes les mamans se demandent ça, au final tout ira bien, blabla. Mais ce genre de discours est difficile à entendre lorsque les angoisses sont grandes...
Je pleure beaucoup la 4e semaine : je réalise que je n'aurai pas cette famille Ricoré qui est mon idéal, dans laquelle j'ai vécu petite avec mes frères et soeurs; que ma vie sera un combat en solitaire, que l'enfant n'aura pas ce foyer que je lui aurais souhaité (l'Homme ne veut pas cohabiter...)
Certains jours, je suis plus sereine, mais l'inconnu reste difficile à appréhender... Moi, celle qui se sent à peine capable de s'occuper d'elle, qui se repose beaucoup sur les autres pour l'aider, pas encore autonome financièrement, qui a déjà tué un ficus et un pot de lierre résistant ("vous inquiétez pas c'est coriace ça ne meurt jamais ces trucs-là") (je jure que je leur ai pas mal parlé et que je les ai arrosés), celle qui a eu sous sa responsabilité un seul petit être, une petite chatte blanche qui a fini par perdre ses reins et mourir à l'âge de 4 ans.
Moi, maman ?