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Phantasma Kai Aletheia
25 novembre 2013

Just...Face it.

Il est arrivé ! Qui, le Beaujolais nouveau? Non, ça c'est chez Kutne. Il est arrivé, qui alors ? Le CR de la reine du Positive Split, pardi !

Je partais donc pour mon premier marathon. Comme le premier baiser, on croit qu'on n'est pas entraîné et qu'on va pas savoir comment faire. On a essayé d'embrasser son oreiller, mais c'était pas terrible et ça ressemble pas à une bouche. On a répété des sorties longues, mais jamais au-delà de 25km. Ya une part énorme d'inconnu donc.

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La semaine before

Je devrais même dire les 15j before tellement l'impact en amont a été important...notamment sur le plan du sommeil. Des soirs où l'adrénaline monte quand on se couche (quelle bonne idée! Le moment optimal), des nuits perturbées. Une dernière semaine agitée, l'allègement des sorties (seulement 1 sortie de 15km le mardi et 1 de 10km le jeudi) n'aidant pas à bien dormir et soulevant bien trop de questions. Notamment celle de la mémoire du corps : comment fonctionne-t-elle, est-ce que le corps ne perd pas la mémoire de la dernière sortie longue, qui allait remonter à 12 jours le jour du marathon? Comprendre : j'aurais peut-être dû courir 20km mercredi ou jeudi? Le tendon d'Achille, qui commence à se faire sentir à partir du km20, qu'augure-t-il, que veut-il dire? Stop Isa tu en fais trop je me blesse, ou juste attention mollo?

La semaine se passe à échafauder des plans. Anticiper pour ne pas être dérouté quoi qu'il se passe le jour j.

scénar 1/ Tu te blesses au km20, la douleur au tendon est trop forte - Tu appliques ton mot d'ordre de l'année : aucune course, aucun chrono ne vaut une année de blessure derrière. Tu te visualises sous la tente de la Croix Rouge, en train d'arrêter de courir, par prudence, pour ne pas empirer la blessure. Pourras-tu le supporter? Oui. Ok. Next !

scénar 2/ Tu as pâti du manque de sommeil de la semaine, tu dois courir lentement et réaliser que tu ne feras pas mieux que 4h20. ça va quand même? Bon, oui. C'est le 1er, finir c'est top ! Ok, next !

scénar 3/ T'es en forme, fraîche comme une rose, transcendée par la foule et l'objectif. Le tendon ne se manifeste pas. Tu te dis qu'après tout un marathon, c'est juste 2 semis. Et t'es pas morte après un semi. Et puis faut battre Running Sucks aussi ! Allez, tu fais 1h55 sur le premier et 2h sur le deuxième.

Tu reprends tout et tu hiérarchises tes objectifs du plus modeste au plus élevé pour tout envisager et être contente quoi qu'il arrive. Et le podium est...

3e position : Moins de 4h.

2e position : Finir.

And the winner is : Ne pas se blesser.

Le jour J

Réveil à 5h30 après une courte de nuit d'un peu moins de 4h. Si j'avais su que je m'apprêtais à faire le même chrono en courant...

Sensations au réveil : mm, pas top. Les jambes sont lourdes du manque de sommeil de la semaine. Va falloir faire avec. Petit dej de l'hôtel : un buffet spécial coureurs, avalé à 6h du matin. Les tables à côté sont garnies de gens en jogging qui discutent, stratégient...Je m'insurge intérieurement. Personne n'a l'air de se rendre compte de la portée de l'événement. Je vais courir mon 1er marathon guys! J'ai envie de l'écrire sur mon front. Sinon, je fanfaronne à mort. Je parle un peu fort pour que tout le monde comprenne que je vais le courir aussi. Je sème des indices quoi ! Personne ne semble relever. Décevant. Avec Rom', on tire nos tisanes au hasard pour la traditionnelle cérémonie du Yogi Tea. Il tombe sur "Liebe ist ohne Schmerzen. Sie ist Bluhen, sie ist Segen." (L'amour est sans douleur. Il est floraison, il est bénédiction.) Le message semble lui convenir...Je tire à mon tour un sachet. Bien évidemment, l'idée est d'obtenir un message prémonitoire pour la course. De questionner un peu l'univers pour avoir des indices sur la conduite à suivre ou le déroulement du futur. De gruger ! D'avoir la réponse avant de courir. Un truc de terrienne qui outrepasse ses droits quoi...Dis l'univers, je vais me blesser ou pas? Je vais réussir ou pas? J'ouvre mon sachet, m'attendant à une longue phrase en allemand, et deux mots me sautent au visage, énormes : FACE IT.

Face it. C'est tout. Ouais. Donc en gros, que je souffre ou pas, que ça merdouille ou pas....c'est pas la question. Affronte-le. Je me marre de cette blague de l'univers. Ok, compris Chef !

Before départ

Un des moments que je préfère dans les courses officielles. Etre au milieu d'inconnus, en l'occurrence dans une sorte de pavillon des congrès alias Espace Encan, tous en bonnets-collants, à ajuster leurs chaussettes de compression, blaguer entre potes, se jauger les uns les autres du coin de l'oeil. Dans ces moments-là j'ai une sociabilité exacerbée que je n'ai pas ailleurs...J'ai envie d'aborder tout le monde et de leur dire ce qu'ils m'inspirent, ce qui me passe par la tête à leur sujet. Et contrairement au quotidien "rangé" où je me retiens, là je sais que je peux ! Ya pas de règles ! Je peux être spontanée, j'ai droit. A contexte extraordinaire, comportement extraordinaire. J'attends debout le moment de partir vers les sas, à côté d'un monsieur coiffé d'un bonnet Gwen Ha Du. Vous êtes breton? Je lui demande. - Oui ! -Ah! moi aussi ! - D'où? -Finistère nord -ah, moi aussi ! Il fait, avec un sourire. - D'où?- ooof, près de Brest, je fais (personne connaît mon bled précis) - Ah? moi aussi, il fait. -Ah? Lesneven, je fais. -Non?? Moi aussi. Où ça à Lesneven? -Près du cimetière. -Il se marre. Mon frère habite là, il me dit. Guy Broch. Là c'est moi qui me marre. - C'est mon voisin, et le docteur de ma famille. Mais...il fait, vous vous appelez comment? Isabelle Thomas je fais. Aha, il se marre. J'ai eu votre père comme prof. Votre père c'est Peter? Ouais, mon père c'est Peter !

Bref, je parle à un mec au hasard parmi plus de 6000 personnes et ce mec est le frangin de mon voisin. J'adore. Et ça, ça se passe qu'avec la course à pied !

Bon sinon, quelques paramètres : ça caille. Gros vent glacial. Mais ciel dégagé. Je bois environ 1l, 1l et demi d'eau en tout. Je renonce à prendre des baies de goji et décide que j'opterai pour les ravitaillements officiels.

C'est parti.

9h. Départ dans le sas "4h" avec quelques blablas avec la fille d'à côté, vite interrompus. Les rangs sont serrrés, je ne veux pas perdre du temps à piétiner ou avoir un faux rythme donc je louvoie et trace ma route. Ambiance de folie sur le port, beaucoup de supporters vraiment, dans ce froid matinal. En plus, ces cons, ils nous ont mis de l'opéra. Je passe une minute ou deux à chercher de quelle oeuvre il s'agit et je me remets dans ma course en me marrant. ça promet une épopée grandiose.

km 1 à 10 : Je me sens pas trop trop mal, je suis mon rythme aux sensations. Je passe le km10 en 51 et quelques, soit 2 minutes plus lent que mon RP sur 10km. Un peu rapide peut-être. Mais mon plan, c'est de faire le 1er semi en 1h55. Et surtout, d'utiliser les forces qui sont là quand elles sont là, pas "les garder pour plus tard" parce que la forme fluctue et que mettre en réserve une énergie donnée à un instant t en prévision de l'instant u, chez moi ça ne fonctionne pas.

km10 à 21.1 : Je suis un peu en force, mais pas trop. Je passe le semi en 1h52 et des. C'est pas mal; un peu trop rapide, mais je suis pas à fond non plus. La suite me dira que j'aurais peut-être dû ralentir un peu quand même.

Jusqu'au premier semi, je cours à côté de deux mecs qui visent 3h45, en me disant "sur un malentendu, ça peut passer" ou "au pire, ils me lâchent mais ils me tirent vers le haut". Et puis surtout, les sensations sont ok. On blablate, ils me conseillent de ralentir. Je sais que je vais ralentir, c'est prévu.

Le premier semi fini, je commence à payer un peu le prix. Le meneur et sa flamme 3h45 me dépassent...et avec lui un gros groupe d'environ 150 coureurs.

km 21.1 à km25 : ça commence à être un peu dur, mais je maintiens une allure correcte, légèrement au-dessus ou égale à l'allure prévue (10.7)

km25 à 35 : lente dégradation. J'ai des courbatures pendant la course. C'est quoi ce truc ? On m'avait pas dit. Courir avec des courbatures que tu viens de te créer? C'est donc ça, le truc du marathon?

Je n'ai pas réellement de mur. Au km17, le tendon m'a donné quelques alertes : je l'ai immédiatement rassuré (oui, je parle à mon corps...On est plusieurs dans ma tête.) Je lui ai promis de m'hydrater et de m'alimenter. Au km20, je bois de l'eau, au km25 je mange des raisins secs.

Donc pas réellement de "mur" qui se dresse d'un coup. Mais une longue souffrance bien diluée, du km 25 au km35. Bien dure. Du genre à te surprendre à penser "allez, j'arrête". J'envisage sérieusement la possibilité de ne pas finir. Les kilometres sont hyper longs à défiler. J'ai des courbatures un peu partout, les jambes raides, lourdes. A chaque km, je sens que je perds du temps comme du sable dans une poche percée.

Ce qui m'a fait tenir? Rom m'a plus ou moins promis de venir me chercher après sa course, qu'il doit finir en dessous de 2h57. (Ce qu'il réussira, je l'apprendrai par la suite, parfaitement.) Je commence le décompte au km25 (pour vous dire à quel point ça a été long !) : allez, plus que 12 km et Rom arrive, tu ne courras plus toute seule. 11, 10, 9, 8...Le seul truc un peu rassurant, c'est que je suis pas la seule à galérer. Bon enfin, y a quand même un truc perturbant : les gens du marathon "duo" qui te dépassent à burnes, n'ayant qu'un semi à faire. Sur mon 1er semi c'était motivant, sur cette 2nde partie c'est carrément déprimant. Sans compter la nana qui me suit depuis plusieurs km avec la méthode Cyrano : elle court, elle marche, elle court, elle marche. ça a l'air carré, son truc, c'est pas de l'impro. Et ça fonctionne, je crois qu'au final elle finit légèrement devant moi !

km35 à 39 : pas de Rom en vue et le moral se dégrade. J'envisage la possibilité qu'il n'ait pas réussi à me trouver. J'espère secrètement qu'il a battu son RP et qu'il ne s'est pas blessé.

Moi, je ne sais toujours pas si je vais finir. J'ai de plus en plus de mal à atteindre les 10kmh. ça sent pas bon, tout ça...

km39 : un mec qui ressemble à Rom me prend en photo avec son smartphone. C'est lui...Rom arrête de déconner, viens courir avec moi ! J'ai une sorte de bouffée d'émotion qui me prend la gorge, de voir le "familier" après tous ces kilomètres carrément toute seule. Début de larmes avec le souffle coupé, je m'étrangle à moitié, et puis ça passe. J'ai toujours mal partout et pas de jus, mais Rom qui m'encourage à côté. Les 3 derniers km sont au mental, et lents, de plus en plus lents en allure...Je saurai plus tard que j'ai réalisé un Positive Split de 12 minutes. 1H52 pour le 1er semi contre 2h04 pour le second ! Rom me dit que la flamme des 4heures est loin derrière moi, que je vais le faire, que je n'ai pas d'obligation à accélérer. Et ça, ça tombe bien parce que je n'aurai tout simplement pas pu...Je m'accroche, on arrive dans le port, on passe l'arche du dernier 1500m, du dernier kilomètre...je ne peux pas lâcher là. J'arrive quand même à dire à Rom "je suis pas sûre que je vais finir". Je peux être très con, parfois !

Panneau "580 mètres". En le lisant, tu réalises à quel point la souffrance doit être universelle pour qu'ils aient pondu un décompte aussi précis.

ça rassure un peu. On est tous dans la même galère...

50 derniers mètres, je prends la main de Rom. On la passera ensemble, cette ligne. C'est fait. C'est fini. Je m'accroche à une barrière, je tente de récupérer mon souffle en pleurant à moitié. Je prends Rom dans mes bras. Il a l'air fier de ce que j'ai fait. Moi pas trop. Je me dis (comme je me suis dit du km25 jusqu'à la fin) : jamais je referai de marathon. C'est le premier et le dernier. Je veux plus souffrir comme ça !

Le souffle se régule doucement. Je réalise que je n'ai pas de blessure au tendon. Je m'asseois. Je bois, je grignotte un truc. A côté de moi, un mec qui s'est assis aussi me fait un sourire épuisé. On discute un peu. Je lui dis que je ne referai plus de marathon. Il me dit d'attendre un peu avant de prendre ma décision.

On se remet debout, on récupère médaille, rose, bourriche d'huîtres, coupe-vent. Ah on pourrait en parler, de ce putain de vent. 40km en rafales sur des tronçons où tu ne peux pas te protéger parce que la masse des coureurs est faible...

Je bois un thé chaud avec un sucre.

On rentre à l'hôtel, on se douche.

Et ça y est. Douchée, réchauffée, et en tenue civile, je réalise. Je réalise que je ne suis pas contre en refaire un plus tard. Plus tard, et surtout mieux. MDP, si tu m'entends...je ne rêverai pas d'un meilleur chrono, mais surtout de meilleures sensations. 

Conclusion : ben putain, j'ai vraiment la mémoire courte.

memoire-poisson-rouge

 

 

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Commentaires
E
Oui, ça l'est. En mai dernier, j'étais blessée, à l'arrêt depuis des mois et avec des kgs en trop. Tu m'aurais dit que j'allais courir un marathon en novembre, je t'aurais ri au nez. Bon courage où que tu en sois et oui, c'est possible, même pour les gens "normaux" sans VMA extraordinaire. ;) Conseils si tu veux par mp ;)
A
Je me demande toujours comment je ferai, le jour où j'en serai là...<br /> <br /> Merci pour ces CR qui nous disent que oui, c'est possible...
B
eh eh encore un CR à la hauteur de l'événement, il me fait rire et pleurer à chaque lecture :) encore bravo tu as été géante !
D
Performance énorme. Je ne sais pas quoi dire tellement je suis estomaqué.
D
Isa, c'est comme la NASA: Failure is not an option.
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