Stipule, orientation, dramatiser, chevaline

"C'est ce que tu leur dis à toutes ?" Le ton n'est pas interrogateur, plutôt désabusé. Elle repose son verre d'asti. Pull écarlate, petite jupe blanche, soquettes serrées. Une silhouette de majorette qui aurait grandi trop vite. Une crinière de boucles brunes encadre son visage pâle, un peu rond, duquel émergent une bouche grenat, ourlée, et un nez frémissant. Deux petits yeux vifs me fixent d'un air moqueur tandis que je m'efforce de prendre un ton badin pour mettre à l'aise ma lolita des campagnes.

"Vous avez donc vu quelque chose, ce soir-là ?"

Elle me répond par une moue affectée.

"Écoutez, inspecteur. Ce type, c'est un pote de lycée. On se connaît, oui, mais on peut pas dire qu'on soit proches. D'ailleurs, c'est dans le journal que j'ai appris qu'il était mort."

Elle s'arrête, puis me sourit. "C'est pas en refusant toutes les invitations que vous en saurez plus..." Elle tripote ses bracelets en or, riante. "Ah, si on vous voyait plus souvent au café, on vous parlerait plus, c'est sûr."

J'en ai connu, des drames. Attiser mon imagination, décupler ma créativité, je sais faire. Mais cette fille, ces villageois, toute cette affaire me dépassent complètement et je n'ai pas l'ombre d'une piste.

Son insouciance cavalière m'achève. A l'ineffable sensation d'étrangeté s'ajoute un désir brutal, soudain, pour sa bouche rouge.