Courir 3 à 5 fois par semaine dans le Bois de Vincennes depuis trois ans, ça finit par te le rendre familier.

C'est ton Bois. Ca t'agace quand tu n'y es pas seule. Comment osent-ils venir chez toi ? Parfois tu dois même prendre le côté droit du chemin alors que tu préfères le gauche. Scandaleux.

La course ou la marche, les endorphines ou l'oxygène. La beauté des arbres, la paix ambiante, les odeurs, les couleurs magnifiques en toute saison. Quoi, ils y seraient sensibles aussi ?

Certains, tu leur pardonnes. Tu les remarques. Des habitués, comme toi. Des amoureux du Bois. Uniques, et un peu étranges, parfois. Portrait.

1/ Le jeune blond aux faux airs d'Orlando Bloom qui te dépasse en marche athlétique. Tu es à 11.5kmh, il te dépose. J'ai regardé ses yeux : je n'ai jamais vu un visage aussi concentré, ardent, tendu vers l'horizon. Je pense qu'il doit faire de la compétition...

2/ Le grand septuagénaire dégingandé et son carré gris, à vélo, à deux doigts du syndrome de la Tourette, que tu croises route de la Tourelle, toujours (why?). Il te croise et tu sais, tu sais qu'il va dire quelque chose. Tu minimises l'impact de tes pompes sur le sol, genre pas de loup, peut-être qu'il ne t'entendra pas le dépasser. Tu pries pour qu'il ne t'engueule pas. Il ne t'engueule jamais en fait. Il gueule contre la météo, le capitalisme, les gens qui font chier.

3/ Le vieux tunisien (qui est peut-être marocain) hâlé aux cheveux blancs, qui marche tranquille avec ses petits yeux et son demi sourire malicieux. Nous nous saluons toujours. Il a toujours un petit mot pour moi. Un jour il m'a dit que j'étais la seule à qui il faisait ça. Je le soupçonne de me draguer un peu.

4/ Le couple (je suppose) de quarante-cinquantenaires qui promènent leur chien. L'un est le sosie de Jean-Pierre Darroussin, l'autre une sorte de Daniel Auteuil aux cheveux blancs, mais très classe. Il a le regard un peu dur. Je leur ai dit bonjour une fois, deux fois, trois fois, sans réponse, et puis j'ai arrêté. Tant pis. Je sais qu'ils me "connaissent", je les "connais", mais après tout, on n'est pas obligés de se saluer.

5/ Le tibétain frêle au jogging gris pâle : discrèt, fin, léger comme une plume, dans son survêtement pastel, il jogge doucement, un petit signe de tête quand on se croise.

6/ Tilda Swinton jeune : une jeune femme blond suédois, très fine, au regard froid, qui me jauge quand je la croise. Je me dis "qu'elle est mince", elle se dit "qu'elle court vite." On se jauge, quoi.

7/ Allée Royale, rondin, côté droit quand tu montes : un homme genre intermittent du spectacle, qui tapote rythmiquement à l'aide de baguettes sur une sorte de petite boîte de résonance. Sourire complice quand on se croise.

8/ Et sinon, ça fait deux fois ce mois-ci que je croise Christelle Daunay courir. Enfin courir. Voler, quoi.

Toi qui cours le Bois, les as-tu déjà vus ?

Les Pittoresques du Bois

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