What body wants, body does.
Je cours régulièrement depuis deux ans.
Gamine, j'ai fait 10 ans d'athlé. Sur un pauvre stade à piste cendrée, et j'étais la plus nulle du club. Mais là n'est pas la question. On courait et on nous apprenait à courir à l'instinct dans ce petit bled breton du bout du monde le soir sous la pluie, avec un entraîneur âgé qui avait perdu un doigt à la guerre (sic) et qui nous apprenait la synchronisation des bras et des jambes, le souffle, la persévérance. Il n'a pas connu -paix à son âme- les désastreux plans tirés sur la comète VMA et autres effets de mode des années 2000. Monsieur Caraes. Il m'aimait bien, il disait que j'avais une bonne synchronisation (même si j'étais la plus lente en course). J'aurais bien aimé qu'il me voit maintenant, il aurait été fier. J'ai ensuite vécu 15 ans d'oisiveté où ces efforts de gamine ont été consciensieusement anéantis par des pâtes carbos, du muscat, des cookies, des nuits blanches à rédiger des disserts et autres activités physiquement épanouissantes (attention ironie).
J'ai commencé la course à pied en 2012.
Ca fait deux ans donc que je "cours" comme adulte. Que je participe, malgré moi, à l'effet de mode du running, qui gagne les 20-40 ans depuis quelques années. Phénomène d'autant plus prégnant en région parisienne, j'ai remarqué.
Et depuis deux ans, j'observe, j'écoute. Et je rage de voir toute une partie des gens se planter, aller dans le mur.
Alors, tant pis si cela ne plaît pas, voici mon point de vue. Je ne vais pas développer point par point mais généralement pour les 4, car le point commun de toutes ces fausses pistes est selon moi : la négligence du savoir instinctif que détient le corps.
1/ le cardio : dangereux
2/ les plans : bullshit
3/ le casque à musique : tragédie
4/ semelles à gogo : une erreur
Tous ces gadgets modernes partent, je crois, d'un bon sentiment : vouloir mieux courir, être plus à l'aise, moins faire de conneries. Oui. Sauf que, par leur nature même d'outils rajoutés, extérieurs à soi et apportant quelque chose d'artificiel et superflu au mouvement naturel du corps, ils engendrent précisément ce qu'ils veulent éviter.
La non-écoute du corps, le non-respect des sensations, des rythmes corporels, des phases métaboliques ET des processus mentaux.
Exemple : je suis crevée, je suis sur les rotules, j'ai trop de pression au boulot mais c'est marqué "séance frac court" sur mon plan quiquennal spécial semi ? Ben j'y vais. A contre-coeur, et à contre-corps.
Lorsque tu vas à contre-courant de ce que veut ton corps à un moment donné - je ne parle pas ici de la petite flemme de base inhérente à l'effort physique, entendons-nous bien, qui elle, est une forme d'illusion et ne doit pas être écoutée -, quand tu vas à contre-courant de ce que ton corps veut ce jour-là (ou ne veut pas), cela se paye (blessure chronique, démotivation passgère, maladie, arthrose chez les coureurs usés.)
Après 5 ans de psychothérapie et d'errements divers, j'ai découvert une chose.
Ton corps sait mieux que toi.
Ton corps sait mieux que ton esprit.
L'esprit est limité : il cloisonne, analyse, met dans des cases, s'occupe de la théorie, se nourrit d'idées abstraites, d'anticipations, d'hypothèses, de conclusions - de virtualité, de fiction.
C'est lui qui t'emmène vers les enflammades orgueilleuses, surestimations du jour, qui te feront aller trop vite ce jour-là, faire l'entraînement de trop, faire la petite bêtise de trop.
C'est lui qui te fera, brandissant l'étendard de vérité absolue d'un plan créé par un autre pour un corps idéal fictif, standard et non-réel (et surtout, qui n'est pas le tien), faire telle ou telle "séance", à telle ou telle heure, tel ou tel jour, sous peine d'échec garanti de ton objectif le jour j (je me marre).
Ton corps, lui, c'est simple : il sait. Il n'interprète pas; il a une sorte de pureté, dans le sens où il "est", il "existe", et puis c'est tout. Pas d'élucubrations; la réalité.
Il a envie de pousser? Laisse-le pousser.
Il est très laborieux au début de ton run, il avance au ralenti? Ecoute-le, ralentis, au moins dans un premier temps. Tu verras si la phase dure ou pas, et réajusteras ensuite. OUI, ça demande beaucoup d'écoute, de flexibilité, de changements d'avis, de "réactualisations", pour être au plus juste, au plus près de ce qu'il veut.
Quand on me demande, que vas-tu faire comme séance aujourd'hui? Je ne peux pas répondre. La plupart du temps, je ne sais pas, car j'obéis à ce que mon corps me dicte, lors de ses premières foulées. Je peux te dire "ce que j'aurais bien envie de faire si je le pouvais ce jour-là", mais pas ce que je vais faire réellement. J'ai 3 ou 4 séances possibles en tête avant de poser les premières foulées. Je vois ce que body dicte, et je m'adapte !
Il t'envoie des petits signaux de douleur? C'est une alerte, écoute-la, modifie quelque chose, lève le pied dans tes entraînements, ou lâche-prise dans ta vie relationnelle / professionnelle. Va chercher ce qui, dans ta vie à ce moment-là, coince. Va vraiment chercher, sois lucide et honnête, et dénoue. Tu t'es engueulé avec 3 mecs, tu te sens en colère, tu t'en veux à toi d'avoir...Cherche vraiment et dénoue doucement, avec bienveillance. Ca signifie accepter d'abord son émotion négative, la regarder, l'accueillir (pas la dénier), puis te pardonner. Puis pardonner à l'autre personne en cause. Tu verras... Pof, la douleur s'en ira.
Mais pour déjà ne serait-ce qu'entendre ce que le corps dit, cela demande une attention, une acuité de perception à laquelle la plupart des gens ne sont pas habitués, entraînés. Il faut s'entraîner.
Un jour, je courais avec un copain, qui a parlé pendant 1h, sans s'arrêter, pris dans des délires mentaux qui l'éloignaient de la réalité. A la fin de la séance, il s'est rendu compte qu'il avait couru n'importe comment. Tu m'étonnes ! Il n'était pas attentif à son corps ni au présent...Il était ailleurs...Personnellement, c'est la méditation, la relaxation et le yoga qui m'ont fait connaître ce corps avec précision.
Mais tu peux aussi décider de négliger ce que te dis ton corps. De courir quand même par-dessus, parce qu'il "faut", tu "dois", c'est "écrit sur le plan". Mais ne viens pas chialer après parce que la facture (physique ou morale) est trop chère.
Les gens ont perdu l'habitude de se fier à leur instinct et à leur corps. Ils se fient à leur accessoire "cardio", à leur "gps", à leur "plan en 8 semaines", à leur "coach", à "l'article sur internet qui dit que".
C'est un cercle vicieux : plus ils se fient à un outil extérieur à eux pour se connaître eux (ex, le cardio), moins ils apprennent à être autonomes, à se connaître eux-mêmes.
Tu leur enlèves leur cardio, ils sont perdus. En fait Ils ont tout foiré dans leur approche, (même s'ils voulaient bien faire); ils ont tout fait à l'envers : ils préfèrent connaître leurs sensations via un outil extérieur, plutôt que les connaître de l'intérieur. L'usage de l'objet court-circuite l'apprentissage naturel du corps à se connaître lui-même. On n'en prend pas le temps. Puisqu'il y a un gadget qui te dit où tu en es, pourquoi prendre la peine d'écouter tes sensations?
Ils préfèrent tripper dans un monde virtuel au son de leur musique galvanisante diffusée par casque, plutôt que d'écouter la nature à l'extérieur d'eux, et les sensations à l'intérieur d'eux. C'est tellement plus confortable dans un sens de s'inventer un monde, de tripper.
Ils se déconnectent, quoi. Se désincarnent.
Et que se passe-t-il quand on n'écoute plus le corps? Quand on se désincarne ?
On se blesse
On ne peut pas poser le bon acte au bon moment
On n'entend pas les petits cris du corps et du coeur, d'abord légers, à peine audibles.
Du coup, le corps va s'exprimer plus fort. Et encore plus fort. Jusqu'à ce que tu réagisses, en fait, il continuera de s'égosiller.
Périostite. Tendinite. Contractures. Surentraînement, dépression. Douleurs sans nom, sans diagnostic, qu'on ne comprend pas. Qu'on n'écoute pas, surtout.
Et on continue à courir par dessus. Et on va courir les médecins en pensant que le Salut vient de l'extérieur. En pensant à une seule chose : recommencer, exactement de la même manière, ce qui a fait qu'on en est arrivés là.
Du coup on se reblesse. Normal.
Alors on se retourne vers la médecine physique occidentale.
Encore, et toujours, vers l'extérieur de soi. C'est tellement plus simple. Plus confortable, de croire que c'est quelqu'un qui va régler notre problème comme un serrurier ouvre une serrure. Limite, on lui en veut si "ça ne marche pas" (le comble!).
Terrible naiveté...
Alors qu'il suffit d'écouter vraiment le corps et ses signaux. De savoir que le corps et le psychisme sont intimement liés.
De parler à son corps, à son âme. De demander pardon si on est allés trop loin.
De comprendre que des erreurs de comportements dans la vie relationnelle peuvent avoir des répercussions physiques.
Alors oui, je comprends que ça foute les boules. Au début ça fout les boules de regarder tout ça bien droit dans les yeux. Tes merdouilles de comportements, tes sensations physiques dans leur vulnérabilité. Ca contredit tes jolis plans, tes espoirs de performance, ton image merrveilleuse de toi, aussi. Enfin celle que tu essaies de fabriquer.
Mais quand tu as compris comment "regarder"....la clé est un trésor. Un bonheur. Tout trouve solution, tout trouve sens.
La maladie et la blessure sont le dernier recours communicationnel de notre être lorsqu'il n'a pas été écouté. Pour une erreur de comportement, de vision des choses, de façon de vivre.
Le corps prend le relais et parle, crie, bredouille.
La plupart des gens ont des idées toutes faites sur les choses, qu'ils se contentent de réciter comme de bons élèves, sans avoir vérifié intrinsèquement si l'hypothèse de travail était juste pour eux.
Après une course officielle, il faut faire ceci...puis ceci....la séance 3, il faut faire ceci...
Le corps n'est pas une machine binaire. C'est quelque chose d'extraordinairement complexe, une partie de l'univers. Il est lié à ton âme, il est lié à la nature extérieure, aux flux énergétiques qui circulent autour de toi. Tu ne connais ni ne maîtrises le cinquième de ce qui se passe en lui. Une émotion peut, par le biais de l'empathie naturelle d'être à être, t'épuiser ou t'énergiser, enclencher tel ou tel processus. Ton corps subit des flux, des cycles, qui ne sont pas écrits par avance sur le papier. Qui dépendent de ton humeur, de ton sommeil, de la qualité de ton alimentation; qui dépendent des processus psychiques (mutations, évolutions) dans lesquels tu es en ce moment, qui dépendent de si tu as pris le TGV ou non, de l'état de ton système immunitaire à un instant i, de ton niveau d'hydratation,de tes carences ou non en vitamines et minéraux, du stade de récupération musculaire où ton corps est rendu depuis ta dernière course, de la température extérieure, etc etc. Le nombre de paramètres est infini. Et y a encore des gens qui, au mépris du message que dit leur corps à 12h30, vont se lancer à 12h30 dans une séance comme ci ou comme ça parce que c'est marqué sur le plan.
Et se blessent. Ou ont un ras-le-bol et se retrouvent dégoûtés du running, à devoir faire une coupure jusqu'au prochain plan. Ou (dans le cas le moins pire) se trouvent juste confortés dans leur idée que vraiment, ils sont nuls, ils n'avancent pas.
Putain !
Je cours sans cardio, sans montre gps (sauf exceptions), sans musique, sans cardio et sans lumière. C'est à la fois par confort et par philosophie.
Ca me permet d'être vraiment là. Pas ailleurs, dans je ne sais quel rêve. Ca me permet d'être attentive à ce qui se passe dedans et dehors. La nuit sans lumière, ça me permet d'entraîner mon esprit à lâcher-prise. C'est très drôle comme expérience : le corps sait ! Les yeux ne voient pas les trous, mais le corps les "sent"/"perçoit". Il possède une sorte de sens instinctif qui est difficile à rationnaliser, et qui va te faire aller au bon endroit, au bon moment. A s'adapter, aussi. D'ailleurs en courant de nuit sans lumière, tu peux essayer, si tu te mets à réfléchir, à rajouter une pensée mentale par-dessus (tu peux tester) : bam, tu te pètes la gueule. Body alone knows what to do.
Je cours avec la course, ce qui se passe à l'intérieur de moi et ce qui se passe à l'extérieur. C'est passionnant. Et je suis "dedans". Je ne suis pas étourdie par la musique, déconcentrée ou happée par quoi que ce soit. J'en profite pour méditer, -i.e. reagrder passer les pensées comme un ruisseau, sans m'y attacher, et revenir sans cesse à la respiration et à la conscience du corps.
Si ça fait prétentieux ce que je dis, ou que ça fait la fille parfaite, je m'en fous. Je ne suis pas du tout parfaite. J'ai juste appris à me regarder en face, défauts compris, surtout les défauts, qui sont nombreux. Et puis, je n'ai pas toujours été à ce niveau de conscience. J'ai mis des années à galérer, à vivre dans le fantasme, le rêve, la non-incarnation, les délires, les transes mentales. Des années. J'ai bossé comme une malade pour en sortir, parce que ça me rendait malheureuse. Au point d'avoir voulu en finir, ce n'est pas métaphorique, à l'aube de la 20aine. Donc maintenant je veux juste partager cette "philosophie" que j'ai apprise d'autres qui y étaient arrivés progressivement eux aussi. Je remercie les premiers qui m'ont montré qu'on pouvait parler à son corps, que toute maladie/blessure était une chance car une parole de ton corps qui te disait aide-moi, arrête tes conneries s'il te plaît.
Que l'esprit n'était pas le maître absolu, qu'il fallait plutôt dans mon cas lui dire de se la fermer. Merci à tous ceux qui m'ont appris ce que c'était que s'incarner. Etre ici, et maintenant. A faire, du coup, s'envoler les peurs du futur et les regrets du passé. A accepter de prendre le présent à bras-le-corps, à ne plus craindre la seconde qui est là, dans laquelle tu es plantée pieds au sol. La seconde crue, brute, non-édulcorée par le rêve. Juste celle qui est là et avec laquelle tu dois composer. Quelle qu'elle soit.
Merci à Daniel (co-cheminant), à Marie Noelle, à Catherine Hervais (thérapeute et philosophe extraordinaire), à Francis, à Ennéa, à Cyril, à Selim Aissel (philosophe, médecin et psychologue le plus compétent que j'aie jamais rencontré), à Castaneda (auteur), à Simone Weil (la Pesanteur et la Grâce), à Fabien et Patricia Chabreuil (formateurs en Ennéagramme), à Chantal Roparz (ostéo-chamane), à Dansebourg (Cessez d'être gentils, soyez vrai) au Tao, à l'enseignement de la 4e voie, à César l'éclaireur, à d'autres que j'oublie.
Alors évidemment ce que je raconte là ne vaut pas que pour la course. Cette fluidité, cette acuité de perception et cet ajustement permanent, elle vaut pour tout. J'ai d'ailleurs des progrès à faire en la matière, dans d'autres domaines.
Mais si l'on revient à la course, pour conclure?
Prends tes baskets, et vas-y nu, avec ton dedans du jour, et le dehors du jour. Ne regarde que ça et crois-moi, tu vas avoir un sacré boulot déjà et des tas de trucs passionnants à regarder et à traiter. Et surtout, tu te feras pas mal, tu seras avec toi.
Tu t'accompagnes.